l'endométriose

Douleurs neuropathiques & nociceptives

Les douleurs neuro­pathiques associées à l’endométriose touchent environ 40 % des personnes atteintes de cette maladie1. Elles sont un symptôme fréquent dont le diagnostic et la prise en charge représentent un vrai défi, à la fois pour les malades, mais aussi pour les soignants. Elles demandent une prise en charge globale, un accompa­gnement spécifique qui permettra de réduire l’impact sur la vie des patient·e·s et éviter ainsi la chroni­cisation de ces douleurs.

Avant d’aborder le thème des douleurs neuro­pathiques ou neurogènes, il est important de préciser certains éléments. La douleur est une information que nous transmet notre corps pour nous alerter2 : « le système nerveux est un réseau complexe de nerfs et de cellules nerveuses (neurones) qui font circuler des signaux et des messages provenant du cerveau et de la moelle épinière vers différentes parties du corps, et vice versa3 ». Il est composé du système nerveux péri­phérique (ou nerfs péri­phériques) et du système nerveux central qui trans­mettent l’information au cerveau par un très léger courant électrique4. Le système nerveux central (SNC) contrôle les principales fonctions du corps (perception, mouvements, sensations, etc.) alors que le système nerveux péri­phérique (SNP) est un réseau de nerfs qui permet de véhiculer les informa­tions sensitives et motrices5.

Qu'est-ce que la douleur ?

Elle est définie par l’International Association For The Study of Pain comme « une expérience sensorielle et émotion­nelle désagréable liée à une lésion tissu­laire ou potentielle ». Cet énoncé tient compte de la dimension sub­jective de la douleur et de sa complexité. Il est important de rappeler que malgré cela, nos douleurs doivent être prises au sérieux, être écoutées, et cela dans « un cadre clinique fondé sur une évaluation globale sans se limiter à la maladie elle-même »6. La douleur est donc une expérience multi­dimensionnelle, alors qu’il nous est souvent demandé de la décrire sur une échelle d’intensité allant de 0 à 10. Elle sera traitée différemment en fonction de plusieurs facteurs : notre état émotionnel, notre fatigue, notre stress, nos expériences trauma­tisantes face à la douleur, etc.

Ces douleurs peuvent être aiguës, lorsqu’elles inter­viennent à la suite d’un traumatisme, correspondant à un signal d’alarme, qui sera résolu après un acte théra­peutique adapté. Lorsque la douleur dure plus de trois mois, elle est considérée comme chronique7.

Le « syndrome douloureux chronique » ou « douleur maladie » désigne une maladie à part entière. L’American Medical Association précise que dans ce cadre, il s’agit d’une douleur persistante ou récurrente, qui dure plus longtemps que le cadre habituel (plus de 3 mois), répond mal aux traitements habituels, aura des conséquences drama­tiques et provo­quera une altération de la qualité de vie des personnes.

Dans le cadre de l’endométriose, il est très fréquent que ce syndrome douloureux chronique ne soit pas diagnostiqué du fait du manque de formation des professionnel·le·s et de la mini­misation des douleurs associées à cette maladie8.

Rappelons que : « la perception de la douleur est intime et individu­elle, nul ne peut la ressentir à notre place. Elle est toujours réelle pour celui ou celle qui la vit »9.

Dans le cadre de l’endométriose, certain-e-s médecins ne cherchent pas toujours à déterminer la cause de ces douleurs (atteintes éventuelles ou lésions proches d’un nerf, compressions, inflammation, etc.), privi­légiant le fait de les stopper par des traite­ments médica­menteux sans réellement les comprendre. Nous verrons que l’absence de recherches de l’origine des douleurs peut être dommageable pour les personnes atteintes d’endométriose.

Il existe plusieurs types de douleurs10 :

• Les douleurs nociceptives11 : elles corres­pondent à une atteinte tissulaire locale, mécanique et/ou inflammatoire. Elles s’enclenchent par l’inter­médiaire des récepteurs de la douleur, passant par la moelle épinière jusqu’au cerveau.

• Les douleurs non nociceptives : elles trouvent leur origine sur le trajet de la douleur, mais contrai­rement aux douleurs nociceptives, elles ne sont pas en lien avec les récepteurs de la douleur.

• Les douleurs mixtes : elles sont une combi­naison des douleurs précitées.

Parmi les douleurs dites non nociceptives, on retrouve notamment les douleurs neuroplastiques ou nociplastiques et neuropathiques.

 

 

Les douleurs neuro­plastiques ou noci­plastiques sont également appelées « sensibilisation centrale » et corres­pondent à un mauvais traitement de l’informa­tion ou à la création de douleurs par le cerveau. Les douleurs neuro­pathiques correspondent à une lésion du système nerveux central ou périphérique : le trajet nerveux est touché.

Nous comprenons aisément pourquoi déterminer l’origine de ces douleurs est primordial. Afin de diminuer leur intensité, de pouvoir agir au mieux sur les causes et arriver ainsi à réduire leur impact sur la vie des personnes, il faut pouvoir claire­ment les identifier.

La prise en charge de la douleur

La prise en charge de la douleur représente un défi majeur de santé publique12. Les premières ini­tiatives officiel­les débuteront en France en 1986. Il aura fallu attendre 1998 pour que le premier plan gouver­nemental de lutte contre la douleur voie le jour. Le « plan Kouchner » sera l’un des premiers à tenir compte de la demande des patient·e·s et à la rendre plus centrale.

La douleur chronique en quelques chiffres :

• 12 millions de Français·e·s souffrent de douleurs chroniques en 201713.

• 70 % de ces personnes n’ont pas de prise en charge adaptée14.

• Moins de 3 % bénéficient d’une prise en charge adaptée dans un centre spécialisé15.

• 40 % des personnes ayant de l’endo­métriose ont des douleurs neuro­pathiques16.

• 35 % des personnes ayant de l’endo­métriose ont des douleurs mixtes17.

• Environ 20 % des patients-e-s gardent des séquelles douloureuses après une chirurgie18.

Ces douleurs post­opératoires chroniques ont des conséquences pré­judiciables dans toutes les sphères de la vie des personnes concernées. Leur impact semble parfois minimisé, les profesionnel·le·s dépassé·e·s et les conséquences psycho­logiques dramatiques.

La prise en charge de ces douleurs représente également un coût important pour notre système de santé19.

 

Les douleurs neuropathiques

Les douleurs neuropathiques corres­pondent, comme nous l’avons précédem­ment mentionné, à une atteinte du système nerveux central ou péri­phérique lorsqu’un ou plusieurs nerfs sont touchés, compressés ou enflammés, voire abîmés lors des chirurgies. Ces atteintes nerveuses ont pour conséquence un dysfonction­nement : les nerfs trans­mettent des signaux de douleur non adaptés, qui peuvent être intenses et profonds et inter­venir de façon ponctuelle ou permanente. Certaines douleurs neuro­pathiques peuvent également être liées au système nerveux sympathique20.

Ces douleurs sont très handi­capantes, invisibles, peu reconnues et mal diagnos­tiquées : « pendant leur formation, on n’enseigne pas aux médecins à identifier des maladies qui ne sont pas visuali­sables par une prise de sang ou une machine »21.

La douleur neuropathique peut être due à :

• À une section ou compression d’un ou de plusieurs nerfs (par un kyste, un fibrome ou une lésion d’endo­métriose, etc.).

• À une inflammation.

• À une infection ou à un trouble du métabolisme

• À une lésion nerveuse dans le cas d’une maladie ou d’un trouble neuro­logique.

• Aux effets secondaires des traitements.

• Aux suites d’un acte chirurgical.

 

 

Les douleurs neuropathiques se traduisent par les symptômes suivants22 : 

 

Nom du symptômeManifestations
Association de douleursBrèves et intenses et/ou intenses et permanentes
DysesthésiesSensations douloureuses de picotements, fourmillements, démangeaisons, engourdissements
Paresthésie et hypoesthésieTrouble du toucher, de la sensibilité et des sensations (fourmillements et engourdissements)
AllodynieHypersensibilité au toucher ou au froid/chaud, même un contact léger peut être douloureux
HyperalgésieAugmentation de la douleur ressentie face à un stimulus normalement non douloureux
HypoalgésieDiminution de la douleur ressentie face à un stimulus normalement douloureux
Réticence aux mouvementsAssociée à une partie du corps ou à un membre douloureux ayant pour conséquences : atrophies musculaires ou troubles trophiques, amyotrophie, ankylose articulaire.
Autres symptômesBrûlures, décharges électriques, élancements, coups de couteau, sensation d’étau.
Accentuées dans certains cas parÉmotions, stress, anxiété, changements des conditions atmosphériques, efforts intellectuels ou physiques23
ConséquencesIrritabilité, fatigue chronique, trouble du sommeil, dépression

 

 

 

Dans le cas d’une résolution de la problé­matique à l’origine des douleurs, du fait de la modifi­cation des structures nerveuses, les douleurs neuro­pathiques peuvent parfois mettre du temps à diminuer ou à disparaître24.

Il est également important de diffé­rencier les douleurs neuro­pathiques, qui sont provoquées par une atteinte des nerfs, des « [...] douleurs inflam­matoires, les plus fréquentes, sont dues à une lésion des tissus (piqûre, infection, etc.) [...] L’aspirine et les anti-inflammatoires prescrits quand une douleur est inflam­matoire n’auront guère d’effet si la douleur est neuro­pathique. Car elle n’est pas déclenchée par les mêmes mécanismes, puisqu’elle est issue de lésions nerveuses. »25.

Ces douleurs peuvent contribuer à un état dépressif ou provoquer de l’anxiété, qui peuvent à leur tour aggraver la douleur. C’est un cercle vicieux qu’il est important de prendre rapi­dement en charge et de manière sérieuse et adaptée.

 

 

Pourquoi l’endométriose provoque-t-elle des douleurs neuropathiques ?

Les atteintes d’endométriose sont classées en trois grandes catégories :

• L’endométriose superficielle (ou péritonéale) à la surface du péritoine.

• L’endométriose ovarienne formant des kystes sur les ovaires (endométriomes).

• L’endométriose pelvienne profonde (ou sous-péritonéale) correspond aux lésions qui s’infiltrent en profondeur à plus de cinq milli­mètres sous la surface du péritoine.

Il existe également une quatrième catégorie, le « frozen pelvis » ou « pelvis gelé » (totalement ou partiel­lement). Elle correspond à la forme la plus avancée d’endo­métriose. Les organes internes se collent entre eux : les adhérences ou la fibrose forment des toiles entre l’abdomen, le pelvis et les organes. Les nerfs, les ligaments et les tissus se retrouvent alors emprisonnés. Cela empêche le mouvement de cette zone et peut provoquer d’importantes douleurs chroniques.

Cette catégorie est propre à la classification du Dr Tamar Seckin26 : « lorsque le bassin est gelé, des nodules fibreux profonds et une endo­métriose profondément infiltrante remplacent les tissus mous pelviens par une fibrose de haute densité. Les organes pelviens deviennent rapidement fermement fixés aux os du bassin, les rendant immobiles ou « gelés », comparables à la sensation de la glace ».

 

L’endométriose touche princi­palement les organes situés dans le petit bassin. C’est une zone du corps où se rencontrent organes, muscles, os, vaisseaux sanguins et nerfs. Rappelons cependant que les lésions d’endo­métriose ne se limitent pas au petit bassin et peuvent toucher de nombreux organes et zones du corps.

Plusieurs études démontrent que 45 à 51 % des personnes ayant de l’endométriose présentent des douleurs inva­lidantes des membres inférieurs27.

Lorsque l’endométriose devient profonde, elle peut toucher les ligaments utéro­sacrés (50 % des cas), le cul-de-sac vaginal postérieur (15 %), l’intestin (20-25 %), la vessie (10 %), les uretères (3 %) et au-delà de la cavité pelvienne, le sigmoïde, le côlon droit, l’appendice et l’iléon terminal pour les localisations les plus fréquentes28. Il existe également d’autres atteintes d’endo­métriose : digestive, pariétale, interne (ou adénomyose), diaphrag­matique, thoracique et neuropathique.

L'endométriose & les douleurs neuropathiques

L’endométriose est une maladie chronique inflammatoire. Lorsque cette inflammation se propage, cela augmente le risque de lésions et notamment de lésions nerveuses : « la localisation de ces douleurs peut être plus ou moins étendue et elle peut concerner, et c’est d’ailleurs souvent le cas, seulement un côté »29. L’irritation des nerfs par l’inflammation (avec des douleurs plus ou moins projetées) est souvent associée à des atteintes de la fossette ovarienne ou à des endométriomes.

Ces douleurs neuropathiques sont le quatrième symptôme30 lorsqu’on est atteint·e·s d’endométriose. D’autres publications placent ce symptôme en cinquième position. De plus en plus de personnes souffrant d’endométriose ressentent des douleurs neuropathiques.

Les lésions endométriosiques, tissus qui se développent à l’extérieur de l’utérus, contiennent également des nerfs qui peuvent être plus sensibles, pouvant se retrouver écrasés par d’autres tissus et par conséquent être à l’origine de douleurs neuropathiques. Elles peuvent se former autour des nerfs, faire pression sur eux et occasionner de la douleur : « plus la douleur est aiguë, plus il est probable qu’une lésion pousse directement sur le nerf. Le tissu cicatriciel de l’endométriose peut tirer sur les nerfs ou même attaquer directement les nerfs »31.

La Dr Susan Evans clarifie certains éléments : « nous savons déjà que les lésions d’endométriose encouragent la formation de nouveaux vaisseaux sanguins et de nouveaux nerfs à mesure qu’elles se développent. Nous savons également que l’endométriose est une maladie inflammatoire et que l’inflammation dans le corps peut sensibiliser le système nerveux »32.

À ce propos, la Haute Autorité de Santé précise « l’endométriose profonde peut comprimer ou infiltrer les racines sacrées ou le tronc du nerf sciatique, entraînant des symptômes nerveux somatiques (territoire du nerf sciatique ou pudendal) ou végétatifs (vésicaux, colorectaux ou vaginaux) à caractère cyclique »33.

Ajoutons que si les lésions ne sont pas traitées, « l’inflammation cyclique due à l’hémorragie provoque une fibrose croissante des nerfs associés et peut éventuellement entraîner des lésions neurales permanentes »34.

Les adhérences associées à l’endométriose peuvent également endommager les nerfs.

Comme l’explique la Dr Delphine Lhuillery : « les symptômes chroniques de l’endométriose sont d’autant plus difficiles à comprendre qu’ils ne sont pas seulement liés à la localisation des lésions. Les terminaisons nerveuses vont être abîmées par cette maladie inflammatoire. L’absence de mobilité des muscles, des tendons, des ligaments qui découlent de ces lésions va à son tour entraîner d’autres dysfonctionnements et douleurs ».

Les nerfs d’un dermatome peuvent également être endommagés par des lésions endométriosiques. Cela peut favoriser des faiblesses musculaires et des troubles de la sensibilité. Les dermatomes sont des zones de la peau, dont les nerfs sensitifs transmettent les informations sensorielles, relatives au toucher, à la douleur, à la température, aux vibrations et à la position d’une partie du corps, vers la moelle épinière. Ils proviennent tous d’une seule racine nerveuse rachidienne.35

Les atteintes réelles avec une symptomatologie cataméniale (liée aux règles) représentent 97 % des cas et se situent sur un tronc nerveux ou sur un ou plusieurs des nerfs périphériques : 365 cas d’atteintes de nerfs périphériques sont répertoriés avec dans 57 % des cas une atteinte du tronc lombo-sacré et dans 39 % des cas une atteinte du nerf sciatique, avec des douleurs au niveau de la cuisse uni ou bilatérale36.

D’autres nerfs peuvent être également atteints : notamment les nerfs pudendaux (avec des douleurs ano-génitales) et les nerfs obturateur et fémoral, sans autre étiologie possible traumatique ou compressive37. Une étude du professeur Marc Possover sur 134 patient·e·s opéré·e·s montre que l’endométriose est à l’origine des douleurs ano-génitales dans la moitié des cas.

On retrouve un total de 175/213 étiologies associées à une atteinte endométriosique dont 27 cas isolés pour le nerf sciatique (partie proximale supra-piriforme) et 148 cas d’infiltration du plexus sacré (racines S1 et S2). « À noter qu’en moyenne, pour ces patientes avec endométriose nerveuse, quatre cœlioscopies avaient été réalisées auparavant, sans retrouver d’étiologie à ces douleurs »38.

Les douleurs neuropathiques peuvent également et malheureusement être provoquées par les opérations : « les douleurs neuropathiques sont même parfois provoquées par les médecins, par une lésion traumatique accidentelle ou induite, par exemple faisant suite à une intervention chirurgicale ».39 Ces douleurs sont également appelées douleurs postopératoires chroniques (DPOC) : « plus le nombre d’interventions chirurgicales abdominales subies est élevé, plus la personne est susceptible de souffrir de douleurs neuropathiques. Or, la chirurgie est utilisée non seulement pour diagnostiquer l’endométriose, mais aussi pour exciser ou brûler les lésions endométriosiques, dans l’espoir de soulager les symptômes. »40 L’intervention, comme de nombreuses chirurgies, implique de couper des nerfs, ce qui peut être à l’origine de douleurs neuropathiques post-chirurgicales.

C’est ce qu’explique également la Dr Isabella Chanavaz-Lacheray, chirurgienne et gynécologue-obstétricienne : « il y a plein de nerfs et certaines femmes ont généré de la fibrose lors de la cicatrisation après avoir enlevé un morceau d’endométriose. Et la fibrose va engluer à nouveau le nerf. Malheureusement, cela n’est pas toujours prévisible, cela arrive d’autant plus souvent que la patiente a été opérée, réopérée... L’idéal serait que les lésions d’endométriose ne se déposent pas et on éviterait ce mécanisme. C’est la raison pour laquelle on a malheureusement des patientes déjà opérées qui souffrent de douleurs neuropathiques. Ces douleurs neuropathiques persistent. Et même sur une chirurgie bien menée, où on a réussi à tout enlever et à soulager la patiente, on peut garder ces douleurs. D’où l’intérêt des autres prises en charge qui accompagnent la chirurgie [...] ».

L’équipe d’Oxford en arrive aux mêmes constats quant à l’origine de ces douleurs : une hypersensibilité des nerfs entourant les lésions, des compressions physiques et des nerfs endommagés lors d’interventions chirurgicales liées à l’endométriose.41

Les atteintes nerveuses liées à l’endométriose sont largement sous-estimées : « la symptomatologie, par sa diversité et le manque de reproductibilité entre les patientes, est difficile à interpréter et à analyser »42.

Pour autant, de nombreuses personnes atteintes d’endométriose et de douleurs neuropathiques ont énormément de mal à faire le lien et de ce fait à obtenir un diagnostic. Le manque de prise en charge, associé à un terrain inflammatoire propice, profite au développement de l’endométriose neuropathique. Ce retard de diagnostic et de prise en charge des douleurs neuropathiques (des délais de prise en charge longs, du fait du manque de structures sur le territoire français, etc.) aura des conséquences dramatiques notamment dans la chronicisation de l’endométriose favorisant l’hyperalgésie des douleurs et « sur la structure des nerfs et la perception de la douleur par le cerveau qui devient plus sensible »43 lorsque les douleurs deviennent chroniques.

Les personnes ayant des douleurs neuropathiques expérimentent également une plus grande douleur de façon générale, du fait de l’intensité et de la chronicisation des douleurs (pendant leurs règles et les rapports sexuels, anxiété et dépression, fatigue avec dysfonctionnements cognitifs, difficultés à se concentrer et problème de mémoire).

Il y a encore énormément de progrès à faire, tant dans la reconnaissance de cette forme spécifique d’endométriose que dans la gestion des douleurs neuropathiques chroniques44.

Nombreuses sont les personnes qui se heurtent à des médecins traitant·e·s non formé·e·s, alors que l’absence de prise en charge adaptée doit conduire à un transfert vers une unité spécialisée dans la douleur ou un·e spécialiste.

Le diagnostic des douleurs neuropathiques





Le diagnostic des douleurs neuro­pathiques est principa­lement basé sur un examen clinique :

• L’examen clinique doit tenir compte à la fois des symptômes et de la proba­bilité d’une ou plusieurs lésions nerveuses, se basant éventuel­lement sur des résultats d’examens.

• Pour aider les médecins à réaliser leur diagnostic, un question­naire d’évaluation de la douleur peut être rempli par les patient·e·s (par exemple Paindetect45 ou le DNS446).

• Des tests complé­mentaires, afin d’exclure d’autres maladies éventuelles et déterminer les maladies potentiel­lement responsables des douleurs, peuvent être réalisés :

- IRM (Imagerie à Résonance Magnétique) : cet examen peut mettre en évidence « certaines séquences centrées sur le territoire nerveux avec certains signes spéci­fiques comme l’épaississement des trames nerveuses et implants hémor­ragiques sur les séquences T2 » qui pourrait conduire à un diagnostic surtout si l’examen est réalisé pendant les périodes de règles.

- EMG (Électromyogramme des membres inférieurs ou pelvi-périnéal) et l’étude de la conduction nerveuse. Ces examens peuvent aider face à la difficulté du diagnostic et permettent de déterminer si la douleur est causée par une ou plusieurs problé­matiques musculaires ou  nerveuses.48 L’électro­myographie peut confirmer la réalité d’une atteinte nerveuse : « dans l’étude prospective de Ballester et al. concernant 50 patientes atteintes d’endo­métriose pelvienne profonde grave, 28 % des patientes présentaient des anomalies à l’électro­myographie dans ces territoires nerveux. En cas d’atteinte digestive, le risque d’avoir un EMG anormal était significati­vement plus important ».49

- Analyses de sang.

Pourtant, avoir des douleurs neuro­pathiques ne veut pas forcément dire que l’on est atteint·e d’endométriose, c’est la combi­naison de plusieurs éléments qui conduit au diagnostic : « comme tous les symptômes, la neuropathie seule n’est pas un signe d’endo­métriose. Mais quelque chose comme une douleur à la jambe combinée à d’autres symptômes qui s’aggravent avec la menstruation pourrait signifier que l’endo­métriose affecte la jambe et les nerfs. Les patientes présentant tout ou partie des symptômes classiques de l’endo­métriose avec neuropathie doivent se faire soigner avant que d’autres complications ne surviennent. Plus le temps passe avant qu’il ne soit traité, plus il peut se propager dans tout votre corps et plus il peut entraîner de compli­cations de santé à long terme. »50

Le diagnostic de l’endométriose neuro­pathique reste complexe : « la neuropathie est un symptôme important de l’endo­métriose, mais elle est souvent confondue par les médecins avec un symptôme de quelque chose de complètement étranger à la maladie. Plus souvent, dans le cas de la neuropathie, les médecins diagnos­tiquent un patient présentant le bon symptôme, mais n’arrivent pas à la bonne conclusion. Par exemple, on dit souvent aux patientes atteintes d’endo­métriose souffrant de douleurs nerveuses qu’elles ont une tendinite ou qu’elles doivent consulter un spécialiste musculo­squelettique pour une consul­tation plus approfondie alors qu’elles ont vraiment besoin de trouver la cause sous-jacente de leur douleur par l’inter­médiaire d’un gynécologue expérimenté dans le domaine de l’endo­métriose. Ce n’est pas une question de bon ou de mauvais médecin, mais plutôt, l’endo­métriose peut n’avoir jamais été considérée par le médecin en question, car ce n’est pas son domaine de pratique. C’est pourquoi il est important pour un patient d’être le défenseur de sa propre santé et de rechercher les soins appropriés auprès du bon médecin ».51

Le traitement des douleurs neuropathiques

D’après les chiffres parus en 2017, environ 7 % de la popu­lation française souffrent de douleurs neuro­pathiques.52 Ces douleurs conduisent les personnes atteintes à l’usage d’un arsenal théra­peutique qui sera différent de celui utilisé dans le cadre des douleurs nociceptives. En effet, les douleurs neuro­pathiques ne répondent pas, ou mal, aux traitements classiques contre la douleur (paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens, morphine et ses dérivés).

L’approche thérapeutique devra être très spécifique53. Il est primordial d’établir une thérapie multi­modale, globale, mêlant plusieurs techniques et approches.54

La chirurgie fait partie des traitements de l’endo­métriose.
Comme nous l’avons précédemment évoqué, les inter­ventions chirurgi­cales doivent être réalisées par des praticiens formés à ces opérations minutieuses. Il est important d’être informé·e sur le fait que toutes les chirurgies comportent un risque d’aggraver les douleurs neuro­pathiques, surtout si elles sont réalisées par des chirurgien·ne·s qui n’ont pas l’expérience suffisante pour prendre en charge ce type d’atteintes complexes des nerfs associée à l’endo­métriose. Certaines techniques opératoires permettent toutefois de limiter les douleurs post­opératoires chroniques et la fibrose.
Dans le cadre d’une chirurgie pour une endométriose neuro­pathique, l’opération sera réalisée dans les mêmes modalités que pour une endo­métriose avec atteintes digestives ou du petit bassin par exemple : les chirurgien·ne·s réalisent une cœlioscopie.


La Haute Autorité de Santé évoque les bénéfices et les difficultés de ces chirurgies : « plusieurs séries, notamment celles de Possover et al. et Ceccaroni et al. semblent montrer une efficacité du traitement chirurgical. Une réduction signi­ficative de la douleur (échelle VAS) est retrouvée dans la plupart des études. Deux types d’atteintes semblent bien différen­ciées sur le plan de la physio­pathologie et conduisent donc à une approche chirurgicale différente. La chirurgie, dans ces cas, peut être plus difficile, avec une dissection plus poussée sur les fibres nerveuses. L’espace rétro­péritonéal est alors ouvert, ce qui permet progres­sivement de disséquer et d’exposer complètement le nerf sciatique dans sa partie proximale ». La HAS confirme également le fait que les nerfs puissent être touchés par l’endométriose ainsi que l’origine des lésions, et les techniques opératoires : « le nodule ou kyste est progressivement libéré, avec parfois nécessité de dissection intra­fasciculaire et résection des parties lésées. Lors des infil­trations du plexus sacré ou des racines sacrées, il s’agit le plus souvent d’un engainement ou d’une compression, en raison d’une endo­métriose pelvienne touchant les paramètres, les nerfs du plexus nerveux autonome, puis par continuité les nerfs somatiques et le péritoine. Des symptômes urinaires notamment de type dysurie, hyper­activité vésicale et autres sont souvent associés en pré­opératoire. Des douleurs génitales (pudendales et glutéales) sont souvent présentes56 [...] Pour cette atteinte, l’espace rétro­péritonéal est également ouvert, puis la dissection est poursuivie sur l’ensemble du tronc lombo-sacré, afin de libérer l’engainement et souvent la fibrose qui peut comprimer ces éléments nerveux, notamment les racines S2, S3 et S4. Dans la plupart des cas, la dissection est plus facile sans atteinte intrinsèque des fibres nerveuses. Une chirurgie pelvienne est souvent associée, avec parfois nécessité de résection paramétriale et/ou digestive ».57

Tableaux des différents traitements des douleurs neuropathiques :


Il n’existe aujourd’hui aucune étude qui permet de comparer les traite­ments chirurgicaux et médicaux et les autres approches de soulagement de la douleur. « De même, peu de données sont acces­sibles en ce qui concerne les récidives, le suivi à long terme et l’intérêt d’un traitement médical à long terme spécifique­ment pour cette atteinte neurogène. »69

L'impact des douleurs neuropathiques sur les personnes atteintes

Le professeur Marc Possover dans un de ses articles scienti­fiques sur l’endo­métriose et le nerf sciatique70 fait un constat clair de la situation « la douleur neuro­pathique résultant d’un nerf irrité ou endommagé est normalement classée dans la catégorie chronique. Les niveaux de douleurs ressenties peuvent cependant être classés comme extrême­ment intenses, très aigus et sont souvent extrême­ment invalidants. Les patients ressentent ce type de douleur à des niveaux rapportés compris entre 8 et 10, sur une échelle de douleur allant de 1 à 10. Ce type de douleur est totalement incompa­tible avec toute forme de vie normale, tant physique que mentale. Les patients ont du mal à se concentrer, perdent le désir de participer à leurs activités habituelles et commencent à s’isoler complètement socialement ».

Ces douleurs conditionnent la vie intime, personnelle et profes­sionnelle des personnes qui en sont atteintes. Elles peuvent engendrer un handicap physique très important, visible ou invisible selon les cas, une précarité (de nombreuses dépenses pour des rendez-vous médicaux, médicaments et opérations) et réduire l’autonomie. Les personnes doivent constam­ment adapter leur vie à la maladie et aux douleurs. La peur du jugement et la culpabi­lité retardent également le fait d’en parler à ses proches ou à des professionnel·le·s et par conséquent d’être pris·e en charge. L’absence ou le retard de prise en charge médicale ou psycho­logique, du fait du manque de moyens financiers, d’informa­tions ou de professionnel·le·s formé·e·s et l’errance médicale associée impacte également fortement la qualité de vie. Ces éléments sont des facteurs aggravants de stress, d’anxiété et favorisent un état dépressif. Il est important d’être accompagné·e par un entourage et des professionnel·le·s à l’écoute.

Même si l’information à propos du lien entre l’endo­métriose et les douleurs neuro­pathiques associées fut longtemps difficile à trouver, on remarque que de nombreuses publications sont désormais disponibles permettant de comprendre le fonction­nement de cette maladie et les mécanismes à l’origine de ces douleurs. Le diagnostic reste cependant toujours un défi puisque peu de soignant·e·s sont formé·e·s à la reconnais­sance des signes alarmants qui permet­traient d’éviter la chroni­cisation de l’endo­métriose. Une prise en charge adaptée est aujourd’hui malheureu­sement difficile­ment accessible ou insuf­fisante et les traitements permettant de réduire les douleurs neuro­pathiques sont souvent lourds et comportent de nombreux effets secondaires, sans garantie d’obtenir une réduction des douleurs ni un ralen­tissement de l’évolution de la maladie.

C’est un symptôme de l’endométriose qui nécessite d’être réellement pris au sérieux, à la hauteur de la difficulté que représentent ces douleurs, des consé­quences désastreuses, de l’impact sur toutes les sphères de la vie des personnes atteintes et du niveau de handicap que supposent ces douleurs chroniques.

Sources

1  Endométriose : mieux cibler l’origine des douleurs pour les soulager plus efficacement
2  Douleur neuropathique chronique
3  Anatomie et physiologie du système nerveux
4  Sabrina Fajau, septembre 2021, In périnée we trust, éditions First
5  Anatomie et physiologie du système nerveux
6  Livre blanc de la douleur 2017
7  Vivre avec douleur neuropathique
8  Endométriose
9  Jessica Fillol, novembre 2021, Vivre avec des douleurs neuro, éditions Ellébore
10  Livre blanc de la douleur 2017
11  Sabrina Fajau, septembre 2021, In périnée we trust, éditions First
12  La prise en charge de la douleur chronique : un problème de société
13  Livre blanc de la douleur 2017
14  Prise en charge de la douleur en France
15  Livre blanc de la douleur 2017
16  Endométriose : mieux cibler l’origine des douleurs pour les soulager plus efficacement
17  Endométriose : mieux cibler l’origine des douleurs pour les soulager plus efficacement
18  Livre blanc de la douleur 2017
19  Etat des lieux sur la prise en charge de la douleur en France
20  Douleur neuropathique
21  Martin Winckler, C’est mon corps. Toutes les questions que se posent les femmes sur leur santé, L’iconoclaste, 2020
22  Jessica Fillol, novembre 2021, Vivre avec des douleurs neuro, éditions Ellébore
23  Douleur neuropathique chronique
24  Douleur neuropathique
25  Douleurs neuropathiques ou inflammatoires : les distinguer pour mieux les soulager
26  Frozen Pelvis in Advanced Endometriosis
27  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
28  Les différentes formes d’endométriose
29  Marie-Rose Galès, ENDO & SEXO – Avoir une sexualité épanouie avec une endométriose, éditions Josette Lyon, 2019
30  Seckin Tamer, The doctor will see you now, Turner publishing, 2016
31  La lettre du gynécologue - n°351 - avril 2010 : à propos des rencontres de l’AEFCA à Versailles en juin 2009 sur l’endométriose et les neuropathies associées.
32 Dr Evans Susan et Bush Deborah, Endometriosis and pelvic pain, autopublication, 2016
33  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
34  Endometriosis that involves the nerves: how Radiologists can help
35  Dermatomes
36  Neural involvement in endometriosis: Review of anatomic distribution and mechanisms
37  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
38  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
39  Martin Winckler, C’est mon corps. Toutes les questions que se posent les femmes sur leur santé, L’iconoclaste, 2020
40  Endométriose : mieux cibler l’origine des douleurs pour les soulager plus efficacement
41 www.theguardian.com, Lucia Osborne-Crowley, A common treatement for endometriosis could actually be making things worse, 02/07/2021
42  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
43  Marie-Rose Galès, Endométriose : Ce que les autres pays ont à nous apprendre, éditions Josette Lyon, 2020
44  Douleur neuropathique
45  Questionnaire sur la douleur
46  Echelle de la douleur Neuropathique
48  Électromyographie (EMG) et études de la conduction nerveuse
49  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
50  La lettre du gynécologue - n°351 - avril 2010 : à propos des rencontres de l’AEFCA à Versailles en juin 2009 sur l’endométriose et les neuropathies associées.
51  La lettre du gynécologue - n°351 - avril 2010 : à propos des rencontres de l’AEFCA à Versailles en juin 2009 sur l’endométriose et les neuropathies associées.
52  Livre blanc de la douleur 2017
53  Traitement de la douleur
54  Douleur neuropathique
55  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
56  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
57  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
58  La lettre du gynécologue - n°351 - avril 2010 : à propos des rencontres de l’AEFCA à Versailles en juin 2009 sur l’endométriose et les neuropathies associées.
59 Douleurs neuropathiques : plaidoyer pour une prise en charge rapide
60 Jessica Fillol, novembre 2021, Vivre avec des douleurs neuro, éditions Ellébore
61  Prescription d’antidépresseurs dans le traitement de la douleur : rôle de la pharmacogénétique
62  Amitriptyline contre la douleur neuropathique et la fibromyalgie chez l'adulte
63  Baclofène
64  Douleur neuropathique
65  Techniques analgésiques loco-régionales et douleur chronique
66  Prise en charge médicamenteuse de la douleur neuropathique : quelle place pour les traitements topiques ?
67  Quand utiliser de la crème de capsaïcine ?
68  Jessica Fillol, novembre 2021, Vivre avec des douleurs neuro, éditions Ellébore
69  HAS, Service des bonnes pratiques professionnelles, décembre 2017
70  Endometriosis of the sciatic nerve: Possible cause of unexplained pelvic nerve pain

Rédaction :  Lindsay Bakala, Giulia C. et Julie G. C.
Correction : Monique B. et Estelle B.